Accéder au contenu principal

2010-2020 : une révolution horlogère en marche

Que porterons-nous demain au poignet ? Le succès phénoménal des smartwatches semble dicter la réponse. Mais l’horlogerie traditionnelle, qu’elle soit mécanique, quartz, ou hybride n’a pas rendu les armes. Tour d’horizon d’un monde en pleine mutation.

Chez Rolex, le spiral en silicium syloxi à géométrie brevetée garantit les hautes performances chronométriques d’une nouvelle génération de mouvements mécaniques.
Chez Rolex, le spiral en silicium syloxi à géométrie brevetée garantit les hautes performances chronométriques d’une nouvelle génération de mouvements mécaniques.
Parce qu’il entre dans la composition des circuits imprimés qui sont au cœur des montres à quartz, le silicium faillit enterrer la montre mécaniques dans les années 1970. Aujourd’hui, il est devenu son meilleur allié. Initialement, cette filière fut développée  au début des années 2000 par la marque Ulysse Nardin d’une part, et d’autre part le laboratoire suisse CSEM associé à un consortium formé par Rolex, Swatch Group et Patek Philippe. De rareté technologique il y a encore 10 ans, le silicium est maintenant devenu la norme dans l’industrie horlogère, où il se propage même depuis cette année dans le milieu de gamme.
Sous sa forme monocristalline, c’est en effet le matériau idéal pour fabriquer le ressort-spiral qui assure les oscillations régulières d’un balancier: le silicium est insensible à l’influence des champs magnétiques, résistant à l’usure et à la corrosion, plus léger et plus dur que l’acier. En outre, sa méthode d’usinage, la LIGA (lithographie/galvanoplastie) permet de dupliquer en grande quantité des formes très complexes, avec une précision inférieure au micron. La pièce que l’on a dessinée est celle que l’on obtient sans que cela nécessite d’autres opérations. De ce fait, et aussi  parce qu’il ne nécessite pas de lubrification, le silicium est maintenant également employé pour fabriquer de multiples composants du mouvement, avec des gains appréciables en termes de précision (réduction des frottements). Mais c’est une autre de ses propriétés, son élasticité, qui est au cœur d’innovations qui font maintenant entrer l’horlogerie mécanique dans une nouvelle dimension. 

Des mécaniques élastiques
La précision d’une montre mécanique dépend de la régularité des oscillations de son balancier, alimentées par l’énergie du ressort moteur que l’on charge en remontant la montre. Malheureusement, au fur à mesure que ce ressort se décharge, le balancier reçoit moins d’énergie, son amplitude diminue, et la précision de la montre aussi. Depuis 5 siècles les horlogers butaient sur ce casse-tête : comment approvisionner le mouvement en énergie de manière linéaire, depuis le moment où le montre est complètement remontée jusqu’à la fin de sa réserve de marche ? Girard-Perregaux a trouvé une solution simple en 2008 avec son échappement Constant, réinterprété l’an dernier dans une esthétique résolument contemporaine. Le système se compose d’un cadre en forme d’ailes de papillon, placé  entre l’ancre et le spiral, et servant de support à une lame de 14 microns d’épaisseur. Impossible à fabriquer autrement qu’en silicium, cette lame se plie en emmagasinant une certaine quantité d’énergie, toujours la même, qu’elle libère en se détendant - comme le ferait une carte à jouer que l’on pince entre deux doigts.  Ainsi quel que soit l’état d’épuisement du ressort moteur, l’organe oscillant reçoit toujours la même quantité d’énergie, pour une précision sans précédent. Quoi que…
Montre Echappement Constant L.M. de Girard-Perregaux: une lame en silicium six fois plus fine qu’un cheveu est au cœur de son échappement à force constante révolutionnaire.
Montre Echappement Constant L.M. de Girard-Perregaux: une lame en silicium six fois plus fine qu’un cheveu est au cœur de son échappement à force constante révolutionnaire.

L’an dernier le département R&D du groupe LVMH par l’entremise de sa marque Zenith, est allé encore plus loin dans cette direction. Embarqué dans la montre Defy Lab, son oscillateur fait d’une seule pièce en silicium se substitue à la trentaine de composants d’un échappement classique. Du fait de son architecture complexe et de l’élasticité du matériau, ce dispositif de 0,5 mm d’épaisseur reçoit d’un côté la force venant du barillet, la régule, et la transmet de l’autre à une petite roue de forme particulière qui remplace la roue d’échappement. Les caractéristiques de cet oscillateur monolithique donnent la mesure de ce nouveau développement : une fréquence de 15 Hz (150.000 alternances/heures !), avec une amplitude de seulement +/- 6 degrés (contre 300° pour un balancier classique), et une précision qui surpasse tout ce que l’on a connu jusqu’ici dans l’horlogerie mécanique : +/- 0,5 secondes de 0 à 48 heures, là où les meilleurs mouvements conventionnels affichent des variations de +/-2 secondes sur 24 heures.  Après les 10 premières montres Defy Lab sorties l’an dernier, Zenith entamera l’an prochain l’industrialisation de son oscillateur au travers  d’une première série de quelques centaines de pièces. Mais il est déjà clair que l’ambition de LVMH est d’en équiper à terme les montres d’autres marques du groupe. Et qui sait, peut-être, de devenir le fournisseur de l’ensemble de l’industrie horlogère…
L'oscillateur monolithique en silicium de la Zenith Defy Lab remplace la trentaine de composants d’un échappement classique
Du carbone pour l’éternité
Résistante et légère, la fibre de carbone a fait irruption dans notre vie à partir  des années 1970 sous des formes aussi diverses que les nez et bords d’attaque des navettes spatiales, les avions et hélicoptères, les voitures de Formule 1, le matériel sportif, etc. Ce sont d’abord ses qualités esthétiques qui ont séduit les horlogers désireux d’apporter une touche techno à leurs cadrans et aiguilles. Peu vulnérable aux rayures et offrant un rendu incomparable, la fibre de carbone a commencé ensuite à être utilisée pour fabriquer des carrures ou des boîtiers complets, et on la retrouve maintenant  aussi dans des mouvements. 
Imaginez une montre mécanique dont le fonctionnement parfait serait garanti 
50 ans, et ne nécessiterait aucun entretien tout au long de ce demi siècle. Vous en rêviez ? Officine Panerai l’a fait. Sa LAB-Id Luminor 1950, produite à 50 exemplaires, est une illustration des possibilités infinies offertes par l’utilisation du carbone par l’horlogerie. Chaque composant de la montre illustre à quel point cet élément chimique peut engendrer des matériaux aux propriétés exceptionnelles : le boîtier, réalisé dans un matériau composite à base de fibre de carbone, le cadran, recouvert de nanotubes de carbone, ou encore le mouvement, qui, grâce aux propriétés mécaniques des composés de carbone, fonctionne parfaitement sans nécessiter de lubrification. La fibre de carbone est toujours utilisée dans des matériaux composites, et il n’y a pas de recette unique. 
Pour ses boîtiers, Officine Panerai a pris le parti  d’utiliser des fibres longues associées à un polymère haut de gamme (le PIC) initialement employé dans des prothèses médicales. Cette formule a  donné naissance au Carbotech, un matériau qui présente une résistance à la chaleur dépassant les 100°, pratiquement insensible aux chocs, aux rayures et à la corrosion. Pressées à haute chaleur, les plaques de Carbotech sont mises en forme pour créer des boîtiers. Ceux-ci sont ensuite  spécialement usinés pour présenter une surface zébrée légèrement différente d’une montre à l’autre, ce qui donne un caractère unique à chaque pièce. De son côté, Richard Mille – un pionnier dans l’utilisation en horlogerie de nouveaux matériaux - fait appel à des fibres de carbone courtes : le carbone NTPT (North Thin Ply Technology), à l’origine développé pour faire des voiles de bateaux de course, et dont l’aspect rappelle celui des bois précieux.
Officine Panerai ID-Lab en Carbotech: une montre garantie 50 ans sans entretien grâce à l’optimisation des possibilités infinies du carbone.
Officine Panerai ID-Lab en Carbotech: une montre garantie 50 ans sans entretien grâce à l’optimisation des possibilités infinies du carbone.
Less is More
Combiner résistance et légèreté, performances et finesse,  est clairement  aussi une voie d’avenir pour l’horlogerie mécanique. On en a l’illustration cette année à travers le « mano a mano » que se livrent deux spécialistes de l’extra-plat. Depuis la sortie il y a 60 ans de son calibre 9P, Piaget n’a jamais cessé d’engranger les records mondiaux de minceur. Il en ajoute deux en 2018.  Avec seulement 4,30 mm d’épaisseur, l’Altiplano Ultimate Automatic revendique le titre de montre automatique la plus mince du monde. A l’instar du concept 900P présenté il y a 4 ans, cette montre fait sauter la barrière entre le mouvement et son habillage, certaines pièces du mouvement étant directement usinées dans le boîtier. 
Et déjà, Piaget nous laisse entrevoir la suite de l’histoire avec l’Altiplano Ultimate Concept, qui reprend le même principe de construction mais en le poussant un cran plus loin : 2 mm, tout compris ! Pour conquérir de précieux dixièmes de millimètre, ce garde-temps hors norme a exigé l’emploi d’un nouvel alliage high-tech à base de cobalt, ultra-rigide et solide permettant à la montre de ne pas se déformer malgré son extrême finesse.


Piaget Altiplano Concept: 2 mm d’épaisseur pour la montre mécanique la plus plate du monde.
Piaget Altiplano Concept: 2 mm d’épaisseur pour la montre mécanique la plus plate du monde.
De son côté, Bvlgari poursuit la saga de l’Octo Finissimo entamée en 2014 sous le signe notamment d’un amincissement drastique des grandes complications horlogères classiques. Après l’Octo Finissimo Tourbillon (remontage manuel), l’Octo Finissimo Répétition Minutes, la nouvelle Octo Finissimo Tourbillon automatique établit un nouveau record du genre avec seulement 3,95 mm d’épaisseur.
Bvlgari Finissimo Tourbillon Automatic, un pas de plus vers la miniaturisation des grandes prouesses horlogères.
Bvlgari Finissimo Tourbillon Automatic, un pas de plus vers la miniaturisation des grandes prouesses horlogères. 
Enfin, preuve que la conquête de l’ultime millimètre est au cœur d’une des recherches fondamentales de l’horlogerie contemporaine, Audemars Piguet s’est aussi invité cette année à la noce en revisitant l’une de ses complications emblématiques, la montre calendrier. D’une épaisseur de 6,3 mm, sa montre concept Royal Oak RD#2 est aujourd’hui le calendrier perpétuel automatique  le plus fin du marché.

Et tout de même connectée?
Reste que malgré ses nombreuses innovations, l’horlogerie mécanique se heurte aujourd’hui à un fait : l’accélération phénoménale des nouvelles tendances de consommation, parmi lesquelles la smartwatch occupe une place capitale. A ce jour, la seule marque traditionnelle à affronter Apple et Samsung sur leur terrain mais avec un zeste horloger est TAG Heuer avec sa collection Connected Modular : un concept « 2 en 1 » dans lequel le même boîtier de montre Carrera peut accueillir indifféremment un module connecté (développé avec Intel et Google), ou un mouvement automatique classique.
TAG Heur Connected Modular 41 : le nouveau format plus réduit d’une montre à deux visages, connectée ou mécanique
TAG Heur Connected Modular 41 : le nouveau format plus réduit d’une montre à deux visages, connectée ou mécanique
D’autres ont choisi de faire évoluer des montres à quartz dotées de cadrans et d’aiguilles physiques en leur adjoignant notamment des fonctions de suivi d’activité et de sommeil. Pionnier dans cette technologie, Frederique Constant a fait cette année évoluer ce concept de façon intéressante avec son Hybrid Manufacture. Cette montre de luxe associe dans le même boîtier un mouvement automatique de manufacture pour les fonctions horaires  et un moteur électronique pas à pas pour des fonctions intelligentes - la connexion entre les deux s’effectuant par Bluetooth lorsqu’on actionne un poussoir. Via une application dédiée, on peut ensuite analyser sur un smartphone les données recueillies par la montre : suivi d’activité, de sommeil, coach sportif intelligent, etc. Mais aussi … Contrôle du fonctionnement du mouvement mécanique (marche, amplitude).
On retrouve ici une idée déjà au cœur de l’EMC Time Hunter présentée en 2016 par Urwerk. Cette montre mécanique éditée en très petite série (30 exemplaires) embarquait un micro-processeur permettant  de visualiser sur son cadran la marche du mouvement, et le cas échéant d’en corriger l’avance ou le retard. Deux ans plus tard, la marque complète ce développement en s’inspiration d’une innovation… vieille de plus de 2 siècle : les pendules sympathiques de Breguet. Leurs  propriétaires plaçaient leur montre de poche montre dans un berceau, spécialement prévu à cet effet et à une heure donnée, la pendule mettait la montre à l’heure exacte. La différence, c’est qu’ici le garde-temps maître de l’EMC est une pendule atomique portable dont l’écart précision est de l’ordre de 1 seconde chaque 317 ans !
Urwerk AMC : un couple pendule atomique/montre-bracelet fonctionnant en mode maître/esclave.
Urwerk AMC : un couple pendule atomique/montre-bracelet fonctionnant en mode maître/esclave.
Nouvelles expériences client
Il existe cependant de nouvelles solutions plus pragmatiques pour flirter de manière facile avec l’ultime précision . L’an dernier, Longines a opéré une petite révolution dans le monde des montres à quartz non connectées avec la sortie de sa Conquest VHP : ultra précision (± 5 s/an), réinitialisation des aiguilles après un choc ou une exposition à un champ magnétique grâce au système DPR (Détection Position Rouages), couronne intelligente, très longue autonomie de la pile et calendrier perpétuel courant jusqu’en 2399. Sa nouvelle version GMT Flash Setting y ajoute désormais une autre innovation spectaculaire : la possibilité pour les voyageurs de régler leur montre sur un autre fuseau horaire, soit manuellement, soit grâce à un intelligent système de pilotage par la lumière émise par le flash de son smartphone. L’avantage de cette solution par rapport à des montres synchronisées aux signaux GPS, c’est qu’elle ne nécessite aucune connexion externe de type wifi ou Bluetooth.  En outre, une fonction « swap » permet de permuter l’affichage de l’heure de résidence et celui de l’heure du voyage par une simple pression de la couronne, pour un confort de lecture accru en tout point du globe.
Longines Conquest VHP Flash Setting
A l’autre extrémité de l’offre horlogère, la maison belgo-suisse Ressence s’apprête à commercialiser en 2019 un concept décapant découvert en début d’année au Salon de la Haute Horlogerie de Genève, la Type 2 e-Crown. Fidèle à l’esprit de la marque (pas d’aiguilles, pas de couronne), cette montre automatique embarque en plus un système électromécanique auto-alimenté capable d'enregistrer, de contrôler, et éventuellement d'ajuster automatiquement l’heure réglée au départ par son utilisateur. Une « montre mécanique cognitive » donc, qui ne se base pas sur des signaux externes (GPS ou radio), mais apprend (et garde avec précision) l’heure que vous lui donnez (home time et 2e fuseau horaire). Cette époque est formidable, pour l’horlogerie aussi...
RessenceType 2  e-Crown 

(Première publication: theWatch (De Morgen), 17 novembre 2018. 

Droits réservés, mention obligatoire de l'auteur en cas de reproduction © Patrick Delaroche
Si vous aimez ce blog, soutenez-moi en vous abonnant. C'est gratuit!


Commentaires